Depuis tout petit, je rêve de la mer et d’évasion, je suis un amoureux de la mer. Depuis que j’ai l’âge de comprendre, je conçois des petits bateaux en frigolite avec comme seule voile une feuille de cerisier marin. J’ai toujours espéré un jour faire le tour de la Martinique à la voile. Je regardais à la télé ces hommes mettre des heures pour relier deux villes, et je rêvais de les accompagner.
À l’âge de 11 ans, je demandais de découvrir ce sport dans un club de voile et je me retrouvais sur une embarcation de laser petit monocoque qui se met très vite sur le anc. Mon parcours va très vite évoluer vers la planche à voile et sa notion de liberté qui va me faire repousser de plus en plus mes limites face à la fatigue. J’aimais ce sport avec cette expérience qui était unique pour moi.
Malgré une découverte des sports nautiques enrichissante, je décidais de me rabattre sur un sport plus traditionnel : la yole ronde, embarcation utilisée par les esclaves pour fuir l’île durant la nuit. Cette embarcation est caractérisée par son instabilité. Un jeu de balancier que les 14 hommes d’équipage tentent de maintenir à ot. L’équipage se compose ainsi : 7 au « bois dressé » qui tentent de faire contrepoids à la voile, 3 qui dirigent l’embarcation avec la pagaie, 2 qui s’occupent de la voile et 2 qui écopent et peuvent potentiellement remplacer ou appuyer les autres postes. Ce sport phare en Martinique est développé dans les écoles.
Je découvrais l’envers de ce sport par le biais de mon oncle qui est le président d’une association et qui m’a demandé de le rejoindre. Passionné par cela je m’étais déjà renseigné pour intégrer un lycée qui participait à des régates de yoles rondes.
L’année de mon entrée au lycée, il y avait une volonté de faire le tour de la Martinique dans le sens contraire de la tradition et aussi de développer une ligue lycéenne de yole ronde. Je découvrais ce lycée et l’année se déroulait sans problème.
Le jour espéré est en n là. J’arrive au lycée à cinq heures du matin et la pression est à son comble. Je suis impressionné par la tâche et par cette première édition. Deux mois avant je ne faisais pas partie de l’aventure. Les critères de sélection étaient clairs : avoir une vie étudiante saine, venir à tous les entraînements et avoir une progression de la moyenne sur toute l’année. L’objectif pour moi fut atteint avec labeur.
Me voici donc dans ma chambre, le numéro 13, à l’internat. Le soleil se lève et la quasi-totalité des chambres dort toujours. La lumière est faible, la fraicheur de la nuit commence à laisser sa place au soleil, de ma chambre je vois la rosée apparaître. Le réveil est donné à 6h45 tous les jours et aujourd’hui ne fera pas exception à la règle. J’ai peur. Dans ma chambre exceptionnellement vide, je me remémore les gestes de mon poste , quatrième bois. L’équipage se rassemble à l’entrée de l’école et nous voilà partis pour la ligne de départ. Le voyage en bus dure environ 1h, le temps de discuter et de se préparer mentalement à une course longue d’une semaine.
Arrivés au Diamant, la commune de départ, le chef d’équipage appelé «le patron», nous donne les dernières instructions. Nous sommes sur une longue plage de sable blanc, la vue est donc ouverte et on entre-aperçoit Sainte- Lucie, l’île voisine de la Martinique. Cette vue lointaine vient par intermittence e leurer notre regard, mais la distance qui nous sépare la rend di use. La côte avec une harmonie de plage et de mont vient dialoguer avec le rocher du Diamant. Le sable chaud sous nos pieds est balayé par le vent. Cet énorme rocher, propulsé des entrailles de la Terre, nous captive par la rudesse de sa pierre, mais aussi par l’élégance du végétal. La mer agitée vient faire mourir ses vagues sur la plage tandis que le soleil et le vent sont très présents. Je sens la chaleur du soleil et le sel de mer sur ma peau. La côte dans notre dos, la mer devant nous, le seul point de repère que nous avons, semble trop lointain pour s’y appuyer.
Le gréement se passe en silence, tous impatients et excités par cette aventure. Un silence lourd pèse sur la plage, nous sommes seuls. Nos parents et nos amis n’ont pas été conviés. La pression est d’autant plus grande. Une fois terminé, nous voici partis pour une course avec d’autres lycées de Martinique.
La tension est à son comble, le départ est donné pour la première édition du tour de Martinique en yoles ronde en sens inverse par les étudiants. La course commence par un très fort vent Est. Le passage entre les pieds de la femme couchée et le rocher du diamant signe le départ.
La femme couchée est un élément du paysage qui résulte de l’usure des vents marins et de construction géologique et forme le corps d’une femme. Il est 9h et nous mettons le cap sur le Nord Caraïbe de la Martinique, vers la commune du Prêcheur, première étape D’une semaine de compétion.
Le début de la course se passe relativement bien, nous sommes portés par les alizés, un vent d’Est en Ouest. La Martinique nous apparaît à tribord (droite) de l’embarcation. Un paysage avec une végétation luxuriante entremêlé de falaises, de plages, et d’anses nous assiste. Le ciel semble clément. Un ciel bleu où les nuances in nies nous tentent souvent, mais la concentration doit rester sur la course. La mer agitée au départ, canal de Sainte-Lucie oblige, se calme dès la façade caraïbe atteinte. Le vent, modéré nous accompagne donc, je le sens sur ma peau, je le vois aussi qui vient déposer ces grains de sel. L’atmosphère de la situation me rassure, je suis concentré pour faire ma course, mais je pro te pour observer le paysage. Je joue avec les poissons volants qui nous suivent et joue avec l’embarcation.
Le début de la course se passe bien, un bon vent d’Est gon e la voile et l’équipage commence à se laisser-aller à des plaisanteries. Cette ambiance qui se détend est pour moi le synonyme d’un équipage qui est bien formé.
Il est 11h et nous avons passé le cap des trois-Îlet, une commune du sud de la Martinique dont la baie qui comporte, comme son nom l’indique, 3 petites îles. Cette commune est aussi en vis-à-vis avec la baie de Fort- de-France. Arrivés à ce niveau là, nous observons sur la ville de Fort-de- France, un grain ; loin de penser que cet évènement aura une importance sur le reste de notre parcours. Nous observons cet évènement avec un intérêt particulier. Les nuages s’élevant dans le ciel nous apparaissent comme une légère menace puis le ciel change et le nuancier devient plus complexe entre le bleu et le gris voire même du noir. Les couleurs vont vers le sombre et le terne.
Il est 11h, nous avons fait le tiers du parcours. La chaleur du soleil que nous ressentions est remplacé par un vent frais. La menace d’un « clamisiré », le calme plat, se fait sentir. Le grain qui passe absorbe la totalité du vent et ne nous laisse que nos bras pour « goudiyé » dans cette immense baie où les avions viennent saigner ce silence. Seul sur cette baie avec ces équipages, je suis frappé par l’immensité de l’espace. Notre régate passe au large de Fort-de-France. Dans cette immensité, plusieurs communes se retrouvent ce qui donne à cet espace une plus grande ouverture. Le regard qui va vers l’Est vient être attrapé par le relief et nit vers le ciel.
La ville de Fort-de-France court et vient se lover dans les contres forts des pitons du carbet. On voit la ville monter au fur et à mesure du relief puis notre vue est stoppée par les nuages. Le rythme des vagues se ralentit. On voit le bleu de l’eau se changer et voir les tons devenir plus sombres. Le vent soudainement faiblit. Il ne fait plus contre poids et cela rend le bateau instable. Cela annonce les débuts d’une grande traversée. Les hommes à la pagaie commencent à se relayer et l’allure du bateau ralentit. Les hommes se remplacent à ce poste et le rythme des vagues est remplacé par celui de la godille très vite relayée par celui des communes. Ce rythme vient jouer avec celui du vent qui timidement vient gon er la voile mais ne fait pas de réelle apparition. La temporalité de la régate change et cela modi e notre perception de la côte martiniquaise. Nous commençons à nous approcher des reliefs les plus imposants. Regarder les nuages se confronter, mais aussi le contraste entre la végétation et ces mêmes nuages m’intérpelle.
Une dualité s’opère entre la mer et la montagne, un équilibre avec les repères de la terre, les communes et les routes qui s’opposent à une ouverture sur l’horizon in ni. La côte dé le à mesure que les coups de pagaie s’ont donné avec une évolution du paysage particulier de la mer. Une découverte toute autre. Les sons deviennent une expérience très frappante. Le bruit habituel des voitures est remplacé par celui des vagues sur la coque et de la pagaie qui sort de l’eau. Le passage d’un oiseau ou encore des dauphins m’apportait une vision du paysage di érente de celle sur la terre.
L’atmosphère de l’embarcation se résume au soleil frappant nos têtes, les grains de sel qui nous brulent et le vent peu existant nous déshydratant progressivement. Le bois de mon poste doit souvent être humidi é pour éviter de casser. J’entend chaque coup de pagaie qui vient entrer dans l’eau et soulever cette masse d’eau.
Durant cette deuxième période, nous passons devant une centrale électrique. Nichée dans les contreforts de la montagne Pelée, cette cathédrale industrielle vient ponctuer le paysage. Dans une anse, elle vient capter nos regards et se donne en spectacle. Ces quatre cheminées dégagent une fumée noire emportée par le vent. À sa base, un complexe gigantesque dénote et contraste avec la végétation environnante, une végétation plus sèche que celle de Fort-de-France ou du Diamant, jaunie par le climat.
On est à Bellefontaine, il est 15h. Les signes de fatigue commencent à se marquer sur l’équipage. Le rythme de l’embarcation marque le pas. Après avoir passé la centrale électrique nous continuons à longer la côte. Les anses, les criques, les petites plages, les falaises et les communes se succèdent tel un chapelet et la n sera synonyme de réconfort.
Ce chapelet se termine et les esprits sont éreintés, mais avant, Saint- pierre. Ville majestueuse, adossée à la montagne Pelée où elle s’élance vers le haut. La montagne, grande, seule, nous accompagne du regard. Une montagne sans arbre, «pelée» avec ses contreforts, plissure vaguelette tel un drap posé sur la montagne. La baie de Saint-Pierre nous achève. Élégante mais pour un marin ce lieu est très complexe. L’immensité de la baie demande pour la n de la régate des e orts mais aussi une concentration de tout instant. Seule la montagne pelée et les dernières lueurs du soleil viennent capter notre regard.
L’atmosphère est changée. Le soleil donne ses derniers rayons, la chaleur sur ma peau, la lumière, le rideau tombe. Une lueur estompée subsiste, du rose au bleu en passant par le jaune orange et bien d’autres, les nuances du ciel nous donnent un spectacle sublime. Les couleurs du ciel annoncent un changement d’état. Naturellement, ce changement provoque une certaine prise de conscience des équipages et nous voilà emportés par le dernier sou le pour terminer cette régate.
Il est 17h. Une belle régate, mais éprouvante se termine. Les tours de pagaie ne se font plus entendre. La plage est en vue avec du sable noir. Un contraste saisissant durant la journée, car débutée avec du sable blanc et ni avec ce sable volcanique. Une drôle de sensation maintenant m’habite, le mal de terre. Je sens la terre sous mes pieds avec le rythme des vagues. Le mouvement continuel de la yole est pour moi toujours présent même sur la plage de l’arrivée. Le sable noir froid sous mes pieds, le soleil parti se coucher laisse place à la nuit et à sa fraicheur. Le dégrément se déroule au milieu de badauds venus regarder notre arrivée. Il est 18h !
L’équipage est épuisé par une longue étape, mais commence à réaliser la portée historique de cette régate dans le monde de la voile. Les esprits sont excités de faire partie de cette épopée, mais les corps épuisés semblent être portés par une volonté extraordinaire de vouloir terminer cette aventure. Ma présence dans cet équipage qui a lutté ensemble et dont la cohésion ne fait pas de doute me paraît inespérée.
Je suis un yoleur.